Leur rencontre
Madame Aude: Dans le restaurant de son papa, rue Mac Auliffe, Les Grillades de Bourbon, dans une ambiance tout en bois, à la créole... Une fameuse adresse, que des grillades, des produits frais, il avait toujours son chapeau, une classe folle! Il était proche des ses clients. Quand tu arrivais, tu n’étais plus à Saint-Denis....
Dominique Dambreville: J’étais collée à mon papa. Nous avions une relation privilégiée. Papa avait une relation exceptionnelle avec ses clients et m’a transmis ce contact de vivre-ensemble. Ce sens de l’amabilité, de l’accueil, c’est mon père! Cette façon de procéder sans grand tapage me vient de lui. Il aimait par-dessus tout le géranium, il avait une âme créole.
Les questions de Madame Aude
-Comment as-tu commencé ta carrière?
C’était très risqué… On m’a dit de prendre du lait et des livres et d’aller vers mes élèves. J’étais institutrice itinérante... J’allais jusqu’à Sans Souci à Saint-Paul... Sur le terrain, j’ai compris le problème, au milieu des champs... Puis tout est allé très vite... J’ai rencontré un chercheur de l’INRP (Institut National de Recherche Pédagogique), il m’a dit que ce que je faisais avec mes élèves sur le terrain, était ce qu’il fallait faire. J’ai passé un examen, ai été propulsée malgré moi maître formateur! Les centres de vacances sont venus ensuite, à Saint-Leu, c’était mon envie... Je suis quelqu’un qui ne se pose pas de questions. C’est vrai, j’ai fait des choses atypiques!
Madame Aude: Et cela a été une réussite!
-Comment en es-tu arrivée précisément à cette réussite?
Je ne sais pas si c’est une réussite, mais c’est quelque chose de simple… Je suis aujourd’hui conseillère pédagogique et pilote des classes environnementales à vocation littéraire et écriture... C’était important de mettre cela en place à La Réunion! Je ne veux pas être enfermée entre quatre murs… En 1988 est né le CCLE (Centre Culturel Lecture Environnement) pour toucher, humer la nature dans le but de transformer l’école, de réfléchir. C’est un outil au service de cette philosophie.
-Quel cheminement as-tu suivi?
A l’époque, l’enseignement était rigide, dur. C’était une manière différente d’aborder les choses. C’est vrai, j’ai un caractère qui fait que je ne dis jamais non, je ne vais jamais me bloquer... En revanche, je n’ai pas peur de l‘échec. Dans l’Éducation Nationale c’est une grosse qualité!
-Comment en es-tu arrivée à écrire?
C’est grâce à Margie Sudre… En 1991, a été créée la première Mamothèque au Chaudron. L’idée était de trouver dès la plus tendre enfance, chaque jour, des pages à tourner. J’ai fabriqué de grands livres géants et ai été à l’origine des premiers bébés lecteurs... Puis il y a eu le 5ème Sommet de la Francophonie et j’ai fait le Conte des Mascareignes avec Daniel Vaxelaire.
Quel est ton combat?
Un constat... Il y a 7 fois plus de bouquins au mètre carré à La Réunion qu’en métropole (ndlr: rapportés au nombre de CDI dans les collèges et lycées)... On a suffisamment de bouquins et d’ordinateurs à La Réunion. Il faut arrêter! Maintenant ce qui manque c’est l’appétit, l’envie. Il faut revoir la formation, le rôle des parents. Evidemment, cela demande du temps et de pouvoir mettre tout le monde atour d’une table!
-Et la coopération dans l’Océan Indien dans tout cela?
Je travaille ave une association mauricienne pilotée par Lady Gunot, je sillonne avec elle les routes de Maurice, dans un bus bibliothèque. Je vais souvent à Maurice former les filles. Il n’y a pas besoin de grand tapage, il suffit de faire du terrain. …
-Que penses-tu de la situation de La Réunion?
Il y a des illettrés… Cela ne m’empêche plus de dormir... Je le dis, sans politique cohérente, concertée, nous n’y arriverons pas! Il faut savoir qui doit faire quoi avec le livre. Nous avons un outil dans les mains, le livre, mais sans savoir se servir de l‘outil!
-As-tu des collaborateurs pour prendre ta relève?
Non! Je souffre de ma solitude intellectuelle, mais il faut une politique globale régionale!
-Tu es l’animatrice aux pieds nus…. Quid de l’avenir?
J’essaye de rayonner dans notre île. Je fais le suivi, mais toute seule. La relève? On ne peut me dupliquer. Il nous faut un grand projet politique pour l’île, je me répète... Actuellement, il y a un groupe de pilotage contre l’illettrisme, c’est bien, mais chacun met une petite monnaie côte à côte. Il y a un fossé entre les penseurs, qui croient bien faire, et la pratique. Attention, il ne faut pas faire des arrangements dans le dos des illettrés.
-Quel message veux-tu faire passer?
L’illettré est quelqu’un qui souvent a été scolarisé... Ils sont 120 000 à La Réunion!!! C’est quelqu’un qui a été jusqu’à la 3ème mais dont le rapport avec l’écrit et la lecture est conflictuel. L’école doit se remettre en question, l’illettrisme handicape toute une vie.
Il faut transformer l’école et la revoir. A La Réunion, nos élus doivent prendre en compte un grand projet cohérent pour une ville lecture avec des bibliothèques et des associations. La politique de la lecture est une politique d’équipement et de formation, avec le rôle des enseignants, une politique d’écriture et une politique d’animation. La citoyenneté sous-entend que le citoyen soit au cœur du texte. L’écrit a un rôle, un écrit de proximité, à chaud! Il faut arrêter de se situer du côté de l‘offre... On sait faire! Je sais que je mourrai sans avoir vu le résultat de ces politiques!
C’est un projet ambitieux, intellectuel. Je n’ai pas l’intention de refaire le monde. Et puis notre insularité induit une certaine petitesse. Je veux une île à ciel ouvert... Il faut une réflexion forte…
-Tu as tout donné pour ton combat contre l’illettrisme?
Je donne 100% de ma vie privée... Il faut des moyens.. Le nombre d’analphabètes à La Réunion va amener à une prise de conscience. Cela revient cher à la collectivité. Il faut apprendre à parler français. Il faut tirer partie de cette chance que nous offre la République. Ensuite, il y a le plaisir de la communion avec les autres à travers le texte. Je revendique la réussite scolaire pour tous. J’ai envie de transformer l’école, main dans la main, avec l’aide des décideurs.
Pourquoi aimez-vous Madame Aude?
J’aime Aude, sa franchise. Quel que soit le sujet abordé, elle donne ses convictions. L’éthique est toujours là. Elle est droite dans ses bottes et fidèle à sa pensée jusqu’au bout…
Catherine Ronin
Catherine Ronin